Un trou noir supermassif souffle une bulle géante de gaz chaud

Utilisant le nouveau radiotélescope européen Low Frequency Array LOFAR, les astronomes - dont ceux de l'Observatoire de Paris, de l'Observatoire de la Côte d'Azur et du CNRS - ont obtenu l'une des meilleures images jamais réalisées d'une bulle géante de gaz chaud soufflée par un trou noir supermassif. Le cliché montre comme un gigantesque ballon rempli de plasma émetteur d'ondes basses fréquences. Ses dimensions dépassent celles d'une galaxie entière, telle que la nôtre, observée dans le visible. 


Image en fausses couleurs de la galaxie M 87.
La lumière visible apparaît en blanc et bleu (données Sloan Digital Sky Survey SDSS).
L'émission radio enregistrée par LOFAR est codée en jaune-orangé.
Au centre, l'émission radio très intense provient du jets de particules propulsé par le trou noir supermassif.

Les trous noirs sont des objets si massifs qu'ils attirent toute matière et lumière. Certains sont actifs et absorbent du gaz et des étoiles de leur environnement. Cependant, une partie de cette matière ne tombe pas dans l'astre. Elle est expulsée en jets de particules, accélérées à des vitesses proches de celle de la lumière. Lorsque les jets ralentissent, ils créent une bulle de gaz chaud, qui peut aller jusqu'à englober la galaxie-hôte. Invisible aux télescopes optiques, cette émission diffuse est extrêmement lumineuse dans le registre des ondes radio basses fréquences utilisées, entre 20 et 160 mégahertz (MHz), soit des longueurs d'onde comprises entre 2 et 15 mètres. 

Le télescope LOFAR utilise près de 50 000 antennes très simples (dipôles) réparties en une cinquantaine de stations aux Pays-Bas, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Suède et en France (station de radioastronomie de Nançay, unité de l'Observatoire de Paris et du CNRS, Cher, région Centre, près d'Orléans). Cet instrument unique est ainsi déployé sur des distances qui atteignent, parfois, plus de mille kilomètres

Le résultat publié dans la revue européenne Astronomy & Astrophysics souligne le potentiel du réseau de LOFAR. Ces observations montrent les liens qui unissent le trou noir central super-massif, la galaxie qui l'héberge et leur environnement. Comme les espèces vivantes en symbiose, une galaxie et son trou noir mènent une existence intimement liée. La galaxie et son environnement alimentent le trou noir en gaz. En retour le trou noir renvoie de l'énergie, sous forme de puissants jets de particules, réchauffant la matière environnante. Les scénarios récents de formation de galaxies suggèrent que ce processus contrôle en réalité la formation d'étoiles dans les amas de galaxies

L'image a été obtenue pendant la phase de tests préliminaires du radiotélescope LOFAR. Il s'est agi de pointer - en combinant numériquement les différents signaux reçus, non pas en orientant physiquement les antennes - la galaxie elliptique géante Messier 87 qui domine au centre de l'amas de galaxies de la Vierge. Celle-ci est 2000 fois plus massive que la Voie lactée et abrite en son sein l'un des plus gros trous noirs connus, ayant une masseatteignant près de six milliards de soleils. Il engloutit l'équivalent de la masse de la planèteTerre en quelques minutes. Cette matière est convertie, pour l'essentiel, en jets de particules ultra rapides et, pour le restant, en rayonnement intense. Ces observations illustrent la violence des interactions entre les trous noirs supermassifs et leur environnement. 

Collaboration 

Ces travaux ont été menés par Francesco de Gasperin, du Max Planck Institute for Astrophysics Garching (Allemagne). Les coauteurs français sont: Cyril Tasse chercheurpostdoctoral à l'Observatoire de Paris, Chiara Ferrari astronome adjointe à l'Observatoire de la Côte d'Azur, et Wim van Driel astronome à l'Observatoire de Paris. 

LOFAR en Europe et en France 

Le Low Frequency Array LOFAR est un instrument innovant capable de détecter les ondes radio avec des longueurs d'ondes allant jusqu'à 30 mètres. Celles-ci sont émises dans l'espace lointain par des objets exotiques tels que trous noirs, étoiles à neutrons en rotation et supernovae. Pour les détecter, on utilise des milliers d'antennes réparties dans toute l'Europe et combine les signaux dans un supercalculateur basé aux Pays-Bas. Une centaine de gigabits de données par seconde sont analysés en temps réel afin de fournir les images les plus détaillées jamais réalisées dans ce nouveau domaine. 

L'utilisation est coordonnée par l'institut néerlandais de radioastronomie Astron pour un consortium composé des Pays-Bas, d'Allemagne, du Royaume-Uni, de la Suède et de la France. L'Observatoire de Paris (1), l'Observatoire de la Côte d'Azur (2), le CNRS à Orléans (3) et la station de radioastronomie de Nançay (Cher, région Centre) sont directement impliqués dans la mise en oeuvre du projet. En particulier, ils participent à l'exploitationscientifique des relevés extragalactiques et de l'Univers transitoire. Le système logiciel de construction d'image, équivalent d'une optique adaptative numérique, est une pièce maîtresse de technologie très avancée indispensable au bon fonctionnement de l'ensemble. Il a été presque entièrement conçu à l'Observatoire de Paris (site de Meudon). Beaucoup de solutions instrumentales et numériques développées dans le cadre seront vitales pour les futurs projets de radiotélescopes mondiaux comme le Square Kilometre Array SKA. 

Super station 

En parallèle, cinq laboratoires de l'Observatoire de Paris et du CNRS (Orléans), en collaboration avec d'autres équipes européennes, ont développé un concept de "super station LOFAR". Il s'agit d'une extension géante de la partie basse fréquence, à Nançay, qui pourra être utilisée conjointement avec LOFAR ou comme un instrument autonome, avec comme atout majeur une très grande sensibilité instantanée. L'étude a été réalisée dans le cadre d'un contrat ANR. Le prototype construit à l'été 2012 est en test sur le ciel. Les financements pour la construction de l'instrument - surnommé NenuFAR - sont activement recherchés.

Notes:

(1) Le laboratoire Galaxies, Étoiles, Physique et Instrumentation GEPI est un département scientifique de l'Observatoire de Paris. Il est associé au CNRS et à l'Université Paris Diderot.

(2) Le laboratoire Lagrange est une unité conjointe du CNRS, de l'Observatoire de la Côte d'Azur et de l'Université de Nice Sophia-Antipolis.

(3) Le Laboratoire de Physique et Chimie de l'Environnement et de l'Espace LPC2E est une unité mixte de recherche du CNRS et de l'Université d'Orléans. Il associé à l'Observatoire des Sciences de l'Univers en Région Centre OSUC.

Référence:

L'étude  est parue dans Astronomy & Astrophysics